CHAPITRE II

 

Joan brancha sa dactylotype électronique et se mit au travail. Ses doigts allongés, délicats, aux ongles vernis, coururent sur le clavier.

Pendant quelques instants, on n’entendit que le léger pianotement des mains sur les touches.

Joan tapait, sans interruption. De temps à autre, on percevait un glissement ténu, à peine perceptible : celui du chariot automatique.

La pièce était spacieuse. Le soleil entrait à flots par deux larges fenêtres, et son éclat, judicieusement tamisé par des stores, donnait aux murs l’apparence de miroirs luminescents, qui réfléchissaient une lumière discrète, néanmoins suffisante.

La jeune fille leva les yeux. Elle aperçut en face d’elle le large bureau de Richard Maxwell.

L’adjoint de Mac-Corry n’était pas là. Il se déplaçait rarement. Et aujourd’hui, principalement, Joan sentait ce grand vide.

Oui, aujourd’hui précisément. Elle ne savait pas pourquoi, et elle travaillait sans conviction. La solitude la rendait nerveuse. Peut-être à cause de cette histoire dont s’occupait le patron avec un mauvais acharnement de chien policier !

Elle se leva et alla vers la fenêtre. Elle appuya son front contre le store, son front derrière lequel se pressaient des idées plus ou moins baroques.

Son regard fixa la porte. Elle était fermée. Mais pourquoi ne s’ouvrirait-elle pas, tout à coup, livrant passage à un « Kidnapper » ?

Voilà l’idée que Joan broyait. Elle en avait d’autres, du même genre, en réserve dans sa tête…

Tout comme celui de Mac-Corry, son regard plongea dans Spark-Avenue. Et soudain, elle sursauta, bêtement.

Le téléphone sonnait. Il sonnait trop fort dans la pièce vide.

Elle prit le récepteur, toute pâle. Son visage exprimait déjà une vive inquiétude, avant même que son correspondant masculin, à la voix nasillarde, ne parlât.

— C’est vous, Joan ? Un message émanant de Paris vient d’arriver pour le patron. Comme Mac-Corry n’est pas là, je crois bien faire en vous l’adressant. Vous le lui remettrez dès son retour. Branchez le télé-enregistreur de Maxwell.

Joan s’approcha d’une petite table, près du bureau de Maxwell. Elle brancha une fiche.

Le télé-enregistreur se mit à ronronner, comme un chat, mais un chat à cerveau électronique qui enregistrait la voix venue d’Europe et la restituait sous forme de bandes magnétophoniques.

Environ cinq minutes plus tard, le téléphone sonna à nouveau. C’était encore Jim, du central.

— Terminé, Joan… Alors compris ? Lorsque le patron rentrera, vous lui remettrez la bande.

— Vous pouvez compter sur moi, Jim.

Joan raccrocha, en soupirant. Evidemment, elle remettrait le message enregistré à Mac-Corry. Pourquoi diable Jim insistait-il sur ce point ? Elle connaissait son travail.

S’approchant du télé-enregistreur, elle enleva délicatement la bande magnétophonique qui, lorsqu’on le voudrait, reproduirait textuellement la voix du correspondant européen.

C’était assez souvent que le district fédéral de Washington recevait des messages de France. Il n’y avait donc pas lieu de s’alarmer, ni de se montrer étonné.

A ce moment, Joan entendit des pas dans le couloir. Vivement, ses doigts coururent sur son clavier.

Maxwell entra, son inévitable cigare à la bouche.

— Bonjour, Joan… Fichue journée ! grommela-t-il en se laissant tomber sur son fauteuil.

La secrétaire l’observait avec surprise. Maxwell avait changé d’expression, de caractère aussi. Il se montrait taciturne, nerveux. De profondes rides barraient son front, le vieillissant prématurément.

— Dites-moi, Joan… Si vous aviez l’idée de disparaître, quel motif invoqueriez-vous ?

Les grands yeux de la jeune fille se fixèrent drôlement sur Maxwell, avec une stupéfaction intense…

— Mais… je… je ne tiens pas à disparaître… Je trouve que la vie a tout de même son charme.

Le policier mit en route le ventilateur posé sur son bureau. Il offrit à cette relative fraîcheur artificielle un visage sévère, moite, renfrogné.

— Il n’est pas question de vous suicider. Vous m’avez mal compris. Je voulais dire, si vous aviez l’idée de vous dissimuler aux yeux de vos semblables, comment expliqueriez-vous votre décision ?

— Mais je… je ne vois pas ce que je répondrais, vraiment. Simplement parce que l’idée de disparaître me semble saugrenue et ne me viendrait pas à l’esprit.

Maxwell se renversa sur son fauteuil. Ses traits perdirent un peu de leur dureté et se détendirent.

— Voilà ! Cette idée ne vient pas à l’esprit. Du moins pas à l’esprit d’une personne normalement constituée… Or, voyez-vous, Joan, de toute les personne disparues, il n’en existe pas une qui soit atteinte de dérangement neuro-cérébral. C’est le résultat de l’enquête que nous venons personnellement d’effectuer, Corry et moi.

Le policier écrasa violemment son cigare dans un cendrier d’un jaune pâle…

— Inadmissible ! Chaque jour des gens disparaissent sans qu’il soit possible de retrouver leurs traces… Hop ! Volatilisés ! Jamais on n’avait vu ça. Evidemment, la population commence à s’inquiéter. On nous traite de bons à rien… Je voudrais bien les y voir ! Comme si on ne mettait pas tout en œuvre pour aboutir à un résultât…

Il se dressa et enfouit ses mains dans ses poches. Il lorgna Joan.

— A part ça, rien ne nouveau pendant mon absence ?

— Si. Un message est arrivé de Paris pour M. Corry. Jim a cru utile de me le faire prendre sur votre télé-enregistreur.

— Vous avez la bobine ?

Joan ouvrit son tiroir.

— La voici.

— Parfait. Vous pouvez la porter à Corry. Il vient de rentrer en même temps que moi.

La jeune fille, quelques instants plus tard, frappait à la porte du chef de la police. Elle était émue, nerveuse, chaque fois qu’elle se rendait chez Mac-Corry. Elle n’aimait pas précisément le profond regard du patron. Elle entra et tendit la bobine.

— Un message de Paris vient d’arriver pour vous, M. Corry. Comme vous n’étiez pas là, je…

— Donnez, dit simplement le haut fonctionnaire.

Joan s’avança jusqu’au bureau et posa la bobine sur la table. Mac-Corry s’en saisit et la plaça dans son télé-enregistreur.

— Vous pouvez disposer, Joan. Je connais le français. Il sera donc inutile de faire traduire le message.

La jeune fille retrouva avec plaisir sa chaise, son clavier. Puis Maxwell, toujours aussi renfrogné, aussi déconcerté par la troublante énigme.

— Alors, vous avez remis la bobine ?

— Oui, je…

Joan n’acheva pas. La porte s’ouvrit, sous une poussée brutale et Mac-Corry apparut, les traits singulièrement animés.

— Maxwell, je parie que vous êtes incapable de me dire la teneur du message que je viens de recevoir de Paris.

— Non vraiment, je n’ai aucune idée…

— Eh bien ! le directeur de la police parisienne me fait savoir que plusieurs disparitions viennent également d’avoir lieu en France. Jusqu’à présent, les recherches se sont avérées infructueuses. Comme ces cas semblent avoir une certaine analogie avec ceux qui nous préoccupent, Paris a cru bon de me signaler le fait.

Maxwell alluma un nouveau cigare sur lequel il s’empressa de tirer, nerveusement. Son regard s’attarda sur Joan.

— Cette affaire prend une tournure inquiétante. Il devient urgent de prendre de sérieuses mesures. Je vais charger des patrouilles de parcourir les rues des principales villes. Et si cela est nécessaire, je proclamerai l’état de siège. Approuvez-vous mon initiative, Corry ?

Le chef de la police haussa les épaules.

— Faites ce que vous voudrez. Mais à mon avis, toutes vos mesures seront inutiles.

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